Le regroupement de moyens peut prendre de nombreuses formes. Depuis la classique copropriété, jusqu’à une organisation plus complète qui permettra d’exploiter plus grand, à plusieurs… Le principal est de savoir pourquoi on partage le matériel et pour quelle durée.

2e partie : Organiser et pérenniser le partage et l’optimisation du parc de matériel

Comme on l’a vu dans l’article précédent, la première façon de partager du matériel est possible avec l’entraide. Elle est aussi au cœur de la logique des Cercles d’échange et de la CUMA.

1. La CUMA, précurseur en matière de partage de matériel

C’est une société coopérative agricole. Elle a pour objet « l’utilisation en commun par des agriculteurs des moyens propres à faciliter ou à développer leur activité économique« . Le but est clairement d’améliorer et d’accroître le résultat des exploitations membres.

La Cuma respecte donc les grands principes de la coopération :

  • Elle est une société à capital variable. Celui-ci varie avec les entrées et sorties d’adhérents ;
  • La Cuma est sans but lucratif ;
  • Sa gestion démocratique repose sur l’égalité des droits des associés, « 1 homme, 1 voix« .
  • Son principe est l’exclusivisme, elle ne travaille qu’avec ses membres.

Les agriculteurs à titre individuel ou en société peuvent être membres d’une CUMA. Le Conseil d’administration donne son accord pour toute demande de nouvelle adhésion. La CUMA est constituée d’au moins 4 adhérents.
Le cadre juridique de la CUMA lui permet de sécuriser les relations de travail. En effet, en plus de ses statuts et son objet social, chaque CUMA adopte un règlement intérieur.

En outre, la Cuma permet de disposer de matériels modernes et innovants et de partager les risques.

L’adhérent s’engage à :

  • Souscrire des parts sociales ;
  • Utiliser le matériel selon une quantité et une durée connues à l’adhésion, il applique les règles de partage de chaque matériel ;
  • Respecter le matériel ;
  • Payer les factures correspondantes à l’usage du matériel.

L’obligation de la CUMA

Mettre le matériel dont elle est propriétaire à disposition de ses adhérents.

2. Le partage de matériel en copropriété

Forme très ancienne de partage de matériel, la copropriété garde son attrait. Ce sont souvent deux agriculteurs qui adoptent ce mode de partage. Ils s’entendent sur leur quote-part respective, en fonction de l’usage. Le concessionnaire établit la facture d’achat au prorata, de même que les factures d’entretien. La carte grise est établie aux deux noms ainsi que l’assurance. Nous recommandons souvent d’établir un règlement intérieur d’utilisation. Celui-ci indiquera les quotes-parts, le lieu de « remisage », la responsabilité de chacun pour l’entretien, la remise à niveau (plein de carburant, vérification de l’hydraulique, petites pièces d’usure, …).

En cas de vente, les règles de l’indivision s’appliquent. Il convient donc tout d’abord de prévenir son ou ses collègues dans un délai raisonnable. En effet, s’ils ne souhaitent pas intégrer le candidat proposé, ils devront racheter la part ou mettre le bien en vente. Chacun récupérera alors la somme à due concurrence. Enfin, la fixation du prix de vente en cas de renouvellement peut être sujet à discussion, en fonction du niveau d’imposition aux plus-values de chaque indivisaire…

3. Le travail à façon, une forme classique de partage du matériel

Le travail à façon permet évidemment de rentabiliser un matériel sur une plus grande surface. Cela aura un impact immédiat sur son coût d’utilisation.

Des éleveurs recourent parfois à cette solution pour leur activité de grandes cultures. La prestation de service leur permet ainsi de bénéficier d’un appoint de main d’œuvre spécialisée et ponctuelle. Cela leur évite d’avoir à embaucher directement pour de courtes durées.

D’autre part, les prestations de services permettent à des agriculteurs d’élargir leurs activités.

Le matériel ne change pas de propriétaire. Le prestataire sera attentif à sa couverture assurance (civile et professionnelle). Si le travail à façon comporte de l’épandage de produits phyto sanitaires, l’agriculteur devra être titulaire du Certiphyto « Décideur en entreprise soumise à agrément » (DESA).

Enfin, et contrairement à l’entraide qui est un échange gratuit entre agriculteurs, la prestation de services est payante, elle fait l’objet d’un contrat. Le prestataire a souvent une obligation de résultat.

Le contrat entre l’agriculteur prestataire et l’agriculteur « client » est essentiel. Y décrire en particulier, les opérations qui seront effectuées, la responsabilité de chacun dans les achats, le détail des travaux à accomplir, … Il faudra également y intégrer assolement, références cadastrales des parcelles, modalités pour décider de l’assolement, durée du contrat, modalités de rupture, … L’exploitant « client » garde la responsabilité de la déclaration PAC, même si son prestataire lui fournit certaines données.

VIGILANCE

La prestation de services extérieure peut avoir un impact sur le statut du fermage. Si elle s’étend à l’ensemble des travaux de l’exploitation, alors cela expose l’agriculteur à une requalification. Les conséquences sont différentes selon que l’agriculteur est locataire ou propriétaire exploitant.

Des arrêts de jurisprudence ont en effet requalifié de telles pratiques. Une reprise des terres par le propriétaire pour les exploiter lui-même avec prestation de services totale est contraire à la « gestion directe » par l’exploitant. De même, un locataire doit exercer la direction de l’exploitation, au risque de s’exposer à une résiliation.

4. Pour aller plus loin, l’assolement en commun

La société civile agricole (SCEA, EARL, GAEC, …) permet de regrouper des exploitations et donc d’optimiser les moyens. Elle peut parfois répondre à des enjeux de cession ou de transmission.

Cultiver à plusieurs agriculteurs peut aussi s’organiser avec la mise en commun d’assolements. Dans ce cas, chaque exploitation reste financièrement et juridiquement indépendante.

Le principe repose sur la mise en place de plusieurs structures. Une SARL ou une CUMA pour gérer le parc de matériel et une Société en Participation (SEP) pour l’organisation des travaux. Certains schémas ajoutent aussi un groupement d’employeurs.

Il n’y a aucune obligation de mettre toutes ses parcelles et productions en commun. Certains agriculteurs choisissent par exemple de s’unir pour une production en particulier (maïs ensilage, pommes-de-terre, productions de semences, …).

Principes de la SEP

Elle consiste à regrouper le parcellaire des exploitants afin de mutualiser les risques (techniques, climatiques, de marché, …) et d’utiliser un matériel de grande capacité. La SEP n’a pas de forme morale, ni de personnalité juridique, ni de patrimoine. Elle est « transparente ». Malgré tout, les associés doivent la déclarer à l’administration fiscale. La SEP bénéficie d’un n° PACAGE. Les associés sont libres de déclarer leurs surfaces individuellement ou par le biais de la SEP. Par contre, il est important de décrire de façon formelle les modalités de cette association. Le statut du fermage est compatible avec l’assolement en commun géré dans le cadre d’une SEP. Il faut cependant avertir son propriétaire du projet.

Les contrats et engagements pris au nom de la SEP, le sont par l’un des associés qui est alors engagé, seul, vis-à-vis des tiers.

5. L’entreprise de travaux agricoles, l’ETA en SARL

Une exploitation agricole peut effectuer des travaux facturés pour des tiers. Les bénéfices de ces activités « commerciales » sont fiscalement rattachés au bénéfice agricole si ils sont inférieures à 50 % du CA et 100 000 euros.

En fonction du projet et des développements, l’agriculteur peut constituer une société commerciale, de type SARL. Cela lui permettra d’avoir une gestion spécifique, financière et fiscale du matériel. Cela marque aussi sa volonté d’établir une relation client / fournisseur.

De base, le régime fiscal de la SARL est l’Impôt des Sociétés (IS). Si elle en remplit les conditions, elle pourra adopter le régime fiscal des « SARL de famille » et rester à l’IR. La condition est que les associés soient membres de la même famille, jusqu’au 2e degré.

Le résultat est intégré au revenu global et imposé selon l’IR. Les plus-values sont imposables au-dessus d’un CA de 250 000 (SARL de vente, livraison) ou au-dessus de 90 000 € (SARL de prestations de services). Au-delà de ces seuils, l’imposition est progressive jusqu’aux plafonds de 350 000 € et 126 000 €.

Sous le régime de l’IS, les modalités d’imposition des bénéfices et des plus-values, etc., sont spécifiques.

6. On peut tout gérer en commun

Au-delà des hommes et du matériel, une salle de traite, un atelier d’engraissement, des cellules de stockage de grain, … peuvent être gérés en commun. Plusieurs formes de société sont envisageables. S’il s’agit d’immobilier, loué aux exploitations, on peut retenir la SCI. Par contre dès qu’une activité ou un équipement est assortie de prestations, la SCEA, la SNC, la SEP, l’EARL ou la SARL devront être étudiées. Comme ce fut le cas il y a quelques années avec les SCL, Sociétés Civiles Laitières ou les GAEC partiels.

« Tout peut être géré en commun ! »

Quoi qu’il en soit, avant de décider de la forme à adopter, c’est le projet des agriculteurs qui doit être clair, compris et partagé par tous. Quel que soit le degré de mise en commun, la première étape est de s’accorder, au minimum, sur la gestion du temps, l’organisation du travail, la communication, la gestion des finances, les entrées/sorties d’associés, les modalités d’estimation des parts sociales, …

P. PINET, consultant, publié pour la première fois le 6 mars 2021.