En déclarant nul le licenciement d’un salarié ayant dénoncé, de bonne foi, des actes illicites commis sur son lieu de travail, la chambre sociale de la Cour de cassation apporte sa pierre à l’édifice du renforcement de la protection des lanceurs d’alerte.
La protection des salariés lanceurs d’alerte est d’actualité. Après l’étude du Conseil d’Etat sur ce sujet, rendue publique en avril 2016, et alors que le projet de loi «Sapin 11» tel qu’amendé par l’Assemblée nationale prévoit d’instituer un statut protecteur commun à tout lanceur d’alerte (FRS 15/16113.1 p. 19), c’est un arrêt récent de la chambre sociale de la Cour de cassation qui retient l’attention. La Haute Juridiction était en effet saisie d’un litige consécutif au licenciement d’un salarié ayant dénoncé au procureur de la République des faits susceptibles de constituer un délit.
Dénoncer des faits anormaux n’ est pas en soi fautif
Le salarié concerné, directeur administratif et financier d’une association gérant un centre d’examen médical financé par la Caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe et faisant à ce titre partie du dispositif général de santé publique, avait été licencié pour faute lourde. II lui était notamment reproché d’avoir adressé une plainte au procureur de la République dénonçant les agissements d’un membre du conseil d’administration et du président de l’association. Ce dernier avait en effet établi et signé un contrat de travail à temps plein avec effet rétroactif au bénéfice du directeur médical du centre alors que celui-ci, qui était dans le même temps administrateur de l’association, n’avait manifestement pas assuré un tel travail à temps plein.
La cour d’appel avait jugé que les faits rapportés pouvaient être qualifiés d’escroquerie et de détournement de fonds publics compte tenu du mode de financement de l’association et que le salarié, dont la bonne foi ne pouvait pas être mise en cause, n’avait commis aucune faute en les révélant aux autorités judiciaires. Le pourvoi formé sur ce point contre l’arrêt d’appel est rejeté.
Pour la Cour de cassation, le fait pour un salarié de porter à la connaissance du procureur de la République des faits concernant l’entreprise qui lui paraissent anormaux, qu’ils soient ou non susceptibles de qualification pénale, ne constitue pas en soi une faute. La solution n’est pas nouvelle. Elle avait déjà été posée dans un arrêt antérieur qui concernait également une dénonciation d’emploi fictif (Cass. soc. 29-9-2010 n09-41.543 et 09-41.544). Et on retrouve aussi ce principe, dans un arrêt encore plus ancien, pour des faits portés cette fois à la connaissance de l’inspecteur du travail (Cass. soc. 14-3-2000 n97-43.268 : RJS 4/00 n388).
Du fait de l’indifférence de la qualification pénale, il importe peu que la plainte du salarié soit finalement classée sans suite par le procureur de la République au motif que l’infraction est insuffisamment caractérisée (Cass. soc. 29-9-2010 précité). Et, comme il ressort de la jurisprudence de la chambre sociale, même si celle-ci n’en a pas fait, nous semble-t-il, un principe général, le salarié est en principe protégé contre le licenciement dès lors que sa démarche ne relève pas de la mauvaise foi, laquelle suppose qu’il avait connaissance de la fausseté des faits lorsqu’il les a dénoncés (voir, notamment, Casso soc. 7-2-2012 n10-18.035 : RJS 4/12 n302 en matière de harcèlement moral ; Cass; soc. 6-6-2012 n10-28.199 : RJS 8-9/12 n684 pour des accusations mensongères de mauvais traitements envers des pensionnaires d’un centre éducatif).
En l’espèce, la cour d’appel avait relevé que la bonne foi du salarié dans sa démarche auprès du procureur de la République ne pouvait pas être mise en doute, d’autant que les faits dénoncés étaient corroborés par la Caisse générale de sécurité sociale.
Le licenciement pour dénonciation de faits illicites est nul
Alors que le salarié entendait faire juger son licenciement nul et sollicitait à ce titre sa réintégration, la cour d’appel avait rejeté cette demande et conclu à une simple absence de cause réelle et sérieuse de celui-ci au motif que la nullité ne pouvait être prononcée en l’absence de texte la prévoyant. Certes, l’article L 1132-3-3 du Code du travail, issu de l’article 35 de la loi 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, interdit le licenciement d’un salarié pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions, sous peine de nullité de cette mesure comme le prévoit l’article L 1132-4 du même Code. Mais les juges du fond faisaient remarquer qu’en l’espèce ces dispositions n’étaient pas encore applicables lors de la dénonciation des faits en cause. Ils avaient aussi écarté l’application de l’article L 1161-1 du Code du travail prévoyant une interdiction de même nature en cas de dénonciation par un salarié de faits de corruption, les faits dénoncés par le salarié ne se rattachant pas à de la corruption.
La Cour de cassation censure sur ce point l’arrêt de la cour d’appel au visa de l’article 10 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
Par un attendu qui constitue l’apport principal de l’arrêt, elle décide, pour la première fois, que du fait de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales est frappé de nullité.
La solution a une portée générale quant aux personnes auprès de qui peuvent être rapportés les actes illicites susceptibles de constituer une infraction pénale : la chambre sociale ne la limite pas, en effet, à ceux divulgués, comme en l’espèce, au procureur de la République. Sont donc concernées les dénonciations de tels actes auprès d’autorités judiciaires ou administratives, de l’employeur ou d’un supérieur hiérarchique notamment.
Cass. soc. 30-6-2016 n15-10.557
D’après le Feuillet rapide du 19/07/16
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