Une enquête est parfois nécessaire pour permettre à l’employeur de s’assurer de la réalité et du caractère fautif des faits dont un salarié est soupçonné. Précaution préalable à une éventuelle procédure disciplinaire, l’enquête entretient des liens étroits avec cette procédure sans en faire cependant partie intégrante. Ce qui amène à se poser certaines questions pour mieux en cerner le cadre pratique et juridique.

Pourquoi lancer une enquête ?

La décision de mener une enquête avant d’envisager la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est généralement liée à l’existence d’un doute sur la nature exacte des faits, sur leur caractère fautif, voire sur l’identité de leur auteur. Elle est à cet égard utile pour recueillir la preuve de faits fautifs pouvant être invoqués à l’appui d’une sanction.

Divers contextes peuvent se prêter à une enquête. Par exemple :

  • doute sur des faits rapportés à l’employeur ou au supérieur hiérarchique qui n’en ont pas été les témoins directs ;
  • soupçons de concurrence déloyale, de détournement de fonds, de harcèlement moral ou sexuel… ;
  • altercation entre deux salariés dont l’origine et la responsabilité ne sont pas clairement établies ;
  • travail défectueux dont il n’est pas certain qu’il résulte d’une insuffisance professionnelle ;
  • vol dans l’entreprise dont l’auteur, non identifié, pourrait être un membre du personnel.

A noter : Ne pas diligenter une enquête peut parfois constituer une faute. Ainsi, un employeur informé qu’un directeur d’établissement se serait rendu coupable d’ un harcèlement moral et sexuel envers une salariée commet une faute en se bornant à réfuter ces faits sans diligenter une enquête ou procéder à des investigations qui lui auraient permis d’avoir une connaissance exacte de la réalité des faits et de prendre des mesures appropriées (Cass. soc. 29-6-2011 n09-70.902 : RJS 10/11 n750).

A qui la confier ?

Cela dépend de ce qu’elle vise à éclairer. Une enquête interne, parfois menée par l’employeur lui-même, peut suffire s’il s’agit essentiellement de recueillir des témoignages et de recouper les informations reçues. Cette enquête interne peut le cas échéant être confiée à un service de contrôle ou d’inspection interne, s’il en existe un dans l’entreprise. Mais la clarification des faits peut aussi nécessiter le recours à des personnes ou des services extérieurs à l’entreprise : expert-comptable, commissaire aux comptes, société d’audit ou gendarmerie, par exemple.

Recourir à un détective privé afin qu’il procède à une filature du salarié est une démarche fortement déconseillée. En effet, pour la chambre sociale de la Cour de cassation, la filature organisée pour contrôler l’activité d’un salarié – qu’elle soit le fait d’un détective privé, de l’employeur lui-même ou d’un supérieur hiérarchique – est un mode de preuve illicite en ce qu’elle porte nécessairement une atteinte à la vie privée de l’intéressé ne pouvant, eu égard à son caractère disproportionné, être justifiée par les intérêts légitimes de l’employeur (Cass. soc.
26-11-2002 n00-42.401 . RJS 2/03 n149).

Le salarié doit-il être averti de l’enquête ?

Lorsqu’une enquête, menée par une personne extérieure à l’entreprise, implique une surveillance des salariés, ces derniers doivent en être informés. En effet, l’article L 1222-4 du Code du travail et plus généralement l’obligation de loyauté dans les relations de travail s’opposent à la mise en œuvre d’un contrôle n’ayant pas été préalablement porté à la connaissance des salariés. On peut certes objecter que cette information préalable risque de faire perdre une partie de son efficacité à l’enquête. Mais passer outre serait une erreur.

Exemple : un employeur ayant constaté des vols et dégradations sur les distributeurs de boissons et sandwiches mis à la disposition du personnel avait fait appel à une société de surveillance extérieure afin qu’elle contrôle, à l’insu des salariés, l’utilisation de ces distributeurs. Les investigations de cette société avaient permis de confondre les responsables de ces malversations mais leur licenciement a été jugé sans cause réelle et sérieuse car, faute d’information préalable du personnel, le rapport d’enquête, seul élément dont l’employeur pouvait dans cette affaire se prévaloir, constituait un mode de preuve illicite (Cass. soc. 15-5-2001 n99-42.219 : RJS 7/01 n830).

A noter : Exceptionnellement, l’absence d’information préalable peut être couverte par la circonstance que le salarié a été associé à l’enquête dont il fait l’objet. C’est ce qui a été récemment jugé dans une situation où l’employeur, soupçonnant une salariée d’ outrepasser ses attributions, avait confié une mission d’audit des fonctions de l’intéressée à une société d’expertise comptable. Il a été estimé que la salariée, licenciée pour faute grave sur la base du rapport d’audit, ne pouvait soutenir avoir fait l’objet d’un contrôle clandestin dans la mesure où elle avait été associée aux travaux réalisés par le cabinet d’expertise comptable et avait été entendue par les auditeurs (Cass. soc. 26-1-2016 n14-19.002 : RJS 4/16 n226).

En revanche, même effectuée à l’insu des salariés, la surveillance de leur activité au temps et au lieu de travail par l’employeur, un supérieur hiérarchique ou un service interne à l’entreprise chargé de cette mission est parfaitement licite. Cette surveillance visuelle ou auditive ; exempte de tout procédé technique de contrôle, entre en effet dans leurs attributions normales. Ainsi, la preuve des manquements professionnels commis par un salarié, contrôleur de bus, peut valablement reposer sur le rapport d’enquête établi par des cadres de l’entreprise missionnés par l’employeur pour observer les conditions de travail des contrôleurs, sans que ceux-ci en aient été préalablement informés (Cass.soc. 5-11-2014 n13-18.427 : RJS 1/15 n2).

Le salarié peut-il se faire assister en cas d’entretien au cours de l’enquête ?

Être assisté durant un entretien informel organisé par l’employeur dans le cadre d’une enquête n’est pas un droit pour le salarié. Rien n’empêche bien sûr l’employeur d’accepter une telle assistance si l’intéressé lui en fait la demande. Mais ce dernier ne peut pas, à ce stade, se prévaloir des dispositions de l’article L 1332-2 du Code du travail autorisant les salariés à se faire assister, lors de l’entretien préalable à une
sanction, par une personne de leur choix appartenant au personnel de l’entreprise.

Comme l’a récemment rappelé la Cour de cassation, un entretien s’inscrivant dans le cadre d’une enquête interne précédent l’engagement d’une éventuelle procédure disciplinaire n’est pas soumis aux règles légales régissant cette procédure et notamment aux dispositions précitées du Code du travail (Cass soc. 22-3-2016 n15-10.503: RJS 6/16 n394). L’employeur ne peut donc pas se voir imposer, dans ce contexte, la présence d’un délégué du personnel, par exemple.

Quelle est la portée de l’enquête sur le délai de prescription des faits fautifs ?

Le délai de prescription des faits fautifs, règle essentielle du droit disciplinaire, interdit à l’employeur d’engager une procédure disciplinaire plus de deux mois après avoir eu connaissance d’un fait fautif commis par le salarié (C. trav. art. L 1332-4). Comme l’a précisé la jurisprudence, ce délai s’apprécie à compter de la connaissance exacte par l’employeur de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés à l’intéressé (Cass. soc. 17-2-1993 n88-45.539 RJS 4/93 n394 ; CE 20-4-2005 n254909 RJS 8-9/05 n869 ; Cass. soc. 13-10-2015 n14-21.926).

Si une enquête a été nécessaire pour lui permettre d’avoir cette exacte connaissance, c’est, en toute logique, à compter de la révélation des résultats de l’enquête, et notamment de la remise d’un rapport établi à l’issue de celle-ci, que se situe le point de départ du délai de prescription (Cass. soc. 13-12-1995 n94-43.137: RJS 2/96 n121 ; Cass. soc. 1-12-2011 n10-23.758; Cass. soc. 13-10-2015 n14-21.926).

Attention ! Dès lors que les faits ont été commis plus de deux mois avant la date d’engagement de la procédure disciplinaire, qui sauf exception correspond au jour de la convocation du salarié à l’entretien préalable à une éventuelle sanction, c’est à l’employeur d’établir qu’il n’en a eu connaissance que dans les deux mois précédant cette convocation (Cass. soc. 24-3-1988 n86-41.600 ; Cass. soc. 15-10-2010 n09-42.573 : RJS 2/11 n116).
En cas de litige, les juges du fond apprécient souverainement les éléments de preuve gui leur sont fournis. Ils peuvent donc considérer que la date de la connaissance exacte des faits par l’employeur se situe, non pas au jour de la remise d’un rapport d’audit ou d’enquête comme le soutient celui-ci, mais à une autre date, antérieure de plus de deux mois à l’engagement de la procédure disciplinaire, de sorte que les faits sont prescrits (Cass.soc. 26-11-1996 n94-40.511 ; Cass. soc. 9-3-2016 n14-20.177).

L’enquête a-t-elle une portée sur le licenciement pour faute grave ?

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise (Cass. soc. 27-9-2007 n06-43.867 : RJS 12/07 n1261). Elle suppose l’engagement de la procédure de licenciement par l’employeur dans un délai restreint. Mais ce délai restreint s’apprécie à partir du moment où l’employeur a eu connaissance des faits fautifs (Cass. soc. 24-11-2010 n09-40.928 : RJS 2/11 n142). Le fait d’avoir procédé à des investigations pour vérifier la réalité des faits qui auraient été commis par le salarié ne le prive donc pas du droit de se prévaloir d’une faute grave une fois connu le résultat de l’enquête (Cass.soc. 30-10-1991 n88-43.247 : RJS 12/91 n1305).

D’après le Feuillet Rapide du 24/06/16