Après avoir identifié le repreneur, le cédant va naturellement s’interroger sur la valeur de son exploitation. Combien cela vaut-il ? Comment procéder pour établir cette valeur ? Qu’est-ce qui a une valeur ? Quel est le juste prix ?

Le juste prix

Souvent, la cession de l’exploitation constitue le « capital retraite » de l’exploitant et de son conjoint. Il leur faudra peut-être acheter une maison ou un appartement. Il leur faudra sans doute compléter leurs ressources par un revenu régulier issu du capital cédé.
Pour fixer le prix, il y a donc l’approche pragmatique mais, comme lors du choix du repreneur, des aspects sentimentaux. Il faudra savoir « faire la part des choses » car, nous le verrons plus loin, le repreneur pourra adopter une approche très « terre à terre ». En fait, c’est de plus en plus le cas.
Comme dans toute cession, le juste prix sera celui sur lequel cédant et repreneur vont s’accorder. C’est une évidence !

Comme dans l’immobilier, c’est souvent l’acheteur qui fait le prix…

S’il y a de nombreux candidats, ce sera le « mieux disant ». C’est-à-dire, celui qui offrira les meilleures conditions de cession, pas forcément financières. Le prix est certes « tiré à la hausse » par des éléments immatériels.
Au contraire, s’il y a peu de prétendants, la valeur diminuera.
Dans les régions à faible pression foncière, il n’y aura pas un repreneur pour un cédant. Des regroupements d’exploitations seront donc nécessaires, jusqu’à atteindre la « taille critique ».
De plus en plus, le juste prix peut être considéré comme celui qui assurera l’avenir économique de l’exploitation.

Une démarche très encadrée

On pourrait croire que, s’agissant d’une entreprise, c’est l’offre et la demande qui influencent la valeur d’une exploitation. En fait, les textes encadrent sa fixation. A commencer par le code rural (1). Celui-ci interdit de surestimer les biens. Il fixe en particulier les peines qu’encourt un cédant qui aurait « […] obtenu ou tenté d’obtenir une remise d’argent […] non justifiée, imposé ou tenté d’imposer la reprise de biens mobiliers à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale de ceux-ci ».
En d’autres termes, le repreneur pourra demander le remboursement de sommes indues, dès lors qu’elles excèdent 10% de la valeur du bien (2).

La valeur d’une exploitation individuelle dépend de trois critères

Établir la valeur est un peu différent selon que l’exploitation cédée est individuelle ou sous forme sociétaire.
En fait, cette valeur dépend de trois éléments principaux. Il s’agit de la maîtrise du foncier, du type de structure et du profil du repreneur.

1. Foncier en propriété ou foncier à bail

Pour mémoire, un bail n’est cessible que dans deux cas. Lors d’une cession d’exploitation en ligne directe (conjoint ou enfant) ou en présence de bail cessible (LOA du 5 janvier 2006). Relire notre article sur ce sujet, publié en 2018.
Si l’exploitation est majoritairement à bail, le cédant n’est pas en position d’imposer un prix. Il ne peut valoriser que les DPB et les améliorations du fonds. Il devra alors vendre lui-même son matériel.
Si l’exploitant et sa famille sont propriétaires du foncier exploité, la situation est différente. La signature d’un bail ou une vente de parcelle peut être « liée » à la reprise des actifs.

Rappel : les améliorations de fonds suivent la même règle que le bail. En cas de parcelles à bail, elles sont dues par le propriétaire à l’exploitant « sortant ».

En fonction de la situation des terres, le cédant devra donc « établir une double liste ». Elle comportera les actifs cessibles (matériels, cheptel, …) et les éléments « indemnisables » (drainage, bâtiment sur sol d’autrui, …).

2. Exploitation individuelle ou société d’exploitation

On verra plus loin que les parts de société peuvent être évaluées avec une méthode dite « économique ». Mais on ne peut pas l’utiliser pour estimer la valeur d’une exploitation individuelle. En effet, cela est juridiquement impossible, sauf si l’exploitant a inscrit le « fonds agricole » à son bilan. Le code rural est très clair sur ce point, il interdit la pratique du « pas de porte ».
La société présente ici un avantage certain, celui de reconnaître la vocation « économique » de l’exploitation.

3. Repreneur familial ou hors cadre familial

Sans être impératif ou bloquant, ce point aura une incidence en cas de cession d’une exploitation individuelle. En effet, les améliorations de fonds suivent le sort du bail et sont donc cessibles à un descendant avec le bail. En respectant les règles juridiques, on peut donc imaginer que le cédant dispose d’un peu plus de souplesse pour en fixer le prix.
De là à considérer que c’est à un descendant que l’on peut céder le plus, il n’y a qu’un pas !

Fixer la valeur des parts sociales d’une société à un prix juste

La valeur patrimoniale

C’est la plus simple à appréhender car elle s’appuie sur la valeur réelle des actifs de l’entreprise, à dire d’expert. Le bilan de la société donne les valeurs comptables et fiscales de chaque bien.
L’expert foncier agricole apporte une aide précieuse et un regard objectif. Plus libre, il se focalisera sur une vision économique de l’exploitation. Par ailleurs, il pourra aussi établir l’état des lieux de sortie.
Enfin, en cas de vente (ou de sortie d’actifs), il pourra conseiller sur le prix des bâtiments par exemple. En effet, si le cédant conserve la maison d’habitation, elle n’aura pas forcément la même valeur selon qu’elle est située près d’un poulailler ou en centre bourg. On a souvent le débat avec les anciennes granges. Les repreneurs en considèrent parfois l’utilité comme limitée …

La valeur de rentabilité

Une entreprise a d’autant plus de valeur que sa capacité à dégager de la marge (EBE) est importante. Cela la rend évidemment plus attrayante aux yeux d’un repreneur. En d’autres termes, plus l’entreprise peut réaliser de bénéfices, plus sa valeur est en principe élevée. Dans cette méthode, on détermine la valeur totale de l’actif par rapport à la rentabilité souhaitée dans l’avenir. On établit les comptes prévisionnels de l’exploitation (Produit, marge brute, EBE et résultat). On choisit un taux de rentabilité, estimé en fonction des caractéristiques de l’entreprise. Il faut appréhender risques, composition de l’actif, stabilité des résultats et le contexte économique dans lequel elle évolue.

Plus les risques sont grands, plus le taux de rentabilité devra être élevé. C’est particulièrement le cas pour les exploitations avec productions spéculatives. L’exploitant en attend un fort rendement pour compenser les mauvaises années.

Une valeur définitive ou un prix juste ?

L’administration fiscale ne se prononce pas pour savoir si le prix est juste. Elle impose le panachage de plusieurs méthodes d’évaluation. Par conséquent, le conseiller effectuera la combinaison des deux valeurs calculées pour proposer une « fourchette » de prix. Cela constituera les bases de la discussion entre les parties.

Conclusion, céder c’est (aussi) prolonger un outil de travail

En France, un nouvel installé sur trois ne reprend pas la ferme de sa famille. Nos conseillers constatent que les projets des candidats sont de plus en plus mâtures. C’est pour cela que les cédants doivent se préparer, également sur le plan psychologique. En effet, l’exploitation est un outil de travail, pas seulement un patrimoine. A ce titre, l’exploitation doit dégager un revenu et cela conditionne la détermination de la valeur au juste prix. Il n’en reste pas moins vrai que le monde agricole est un milieu spécifique dans lequel l’humain a une forte importance. Dans certains cas, il faudra « attirer » les repreneurs, d’où l’importance de bien réfléchir à son projet de transmission.

(1) Article L411-74 du code rural
(2) Cette procédure s’appelle « action en répétition ». Elle est « […] recevable pendant toute la durée du bail initial (ainsi que pendant la durée) des baux renouvelés (qui suivent) […] ».

La banque adopte la même approche.