L’objectif numéro 1 d’un exploitant est de conforter son entreprise pour dégager un revenu cohérent avec ses attentes. Or, depuis plusieurs années, les risques de toutes natures se sont additionnés. Cela remet donc en cause l’existence même d’exploitations dans leur modèle actuel. N’est-il pas temps de réétudier les formes de partage, de regroupement ou de mise en commun ?

Revenir à des solutions de partage déjà expérimentées ?

Dans les années de difficultés comme par temps « de vaches grasses », les agriculteurs ont fait preuve d’inventivité. Ils ont mis en place les CUMA, les GAEC, les CETA et autres GDA ou GVA. Tout ceci a parfois coïncidé avec une époque de développement et la mise en place des premières Politiques Agricoles Communes, PAC.

Depuis 20 ans, les années difficiles se succèdent, remettant certains réflexes de regroupement sur le devant de l’actualité. On a aujourd’hui assez de recul sur ces schémas pour énoncer que la clé de réussite principale reste le facteur humain.

Des motivations et des objectifs divers au regroupement

Tout exploitant agit en fonction de son objectif principal (sa motivation), en lien, souvent, avec son âge.

On peut distinguer la création de valeur par le projet d’exploitation ; mise en œuvre d’un assolement diversifié, spécialisation des productions, cohabitation d’un atelier animal avec les cultures, …

La séparation des patrimoines (immobilier / exploitation) conçue comme une étape préalable à leur transmission ou leur cession.

La motivation peut aussi se résumer à générer un revenu, optimiser la marge, indépendamment de toute considération de projet.

Quand on aborde ces questions avec les exploitants, on fait émerger d’autres attentes. C’est, par exemple, améliorer ses conditions de travail, se spécialiser, se libérer du temps, équilibrer son temps entre privé et travail, diminuer le risque de l’exploitation unipersonnelle, …

Les limites de certains systèmes, de certaines exploitations

En effet, aucune exploitation n’étant identique à une autre, les contraintes à lever sont très nombreuses. Tel exploitant sera limité par la taille de son exploitation ou sa capacité financière. Tel autre par la performance de ses matériels et installations. Pour d’autres encore, le contexte pédoclimatique ou le parcellaire seront les principaux freins.

On rencontre aussi, des limites de nature humaine. C’est par exemple, le savoir-faire technique, l’accès et la maîtrise de l’information. Plus gênant aussi sont le manque de partage ou l’isolement que chacun subit de manière différente.

Quelles solutions de partage ou de regroupement s’offrent à l’exploitant ?

Le partage ou la mise en commun peuvent porter sur tous les moyens de production.

En premier lieu, la main d’œuvre. Cela peut être un salarié partagé (2 contrats de travail) ou un groupement d’employeurs (GE). Certains GE de grande taille proposent maçon ou mécanicien, … Il existe aussi le prêt de main d’oeuvre (lire notre article).

Le « partage » du matériel peut être fait sous le mode de l’entraide, de la copropriété, de la CUMA. Dans les organisations plus complexes, on réunit le matériel dans une société de services, une SARL par exemple.

Avec l’obligation de mise aux normes des exploitations laitières au début des années 2000, certaines ont pu rassembler leurs quotas dans un GAEC partiel (GPL). Puis, à partir de 2005, en société civile laitière (SCL). La suppression des quotas laitiers en 2015 et une réforme comptable des SCL ont mis un frein important à ces structures.

Des producteurs de porcs se sont groupés pour aboutir à séparer leurs ateliers (naisseurs et engraisseurs). Ils les ont ainsi positionnés respectivement chez l’un ou chez l’autre, plutôt que d’avoir chacun les deux ateliers.

La production végétale, peut bien sûr être optimisée. Les échanges de parcelles (1) permettent de rationaliser les assolements et diminuer les temps de trajet, surtout en élevage. Plus poussé, l’assolement en commun nécessite la mise en place d’une société en participation (SEP). Celle-ci n’a pas d’existence juridique mais elle est reconnue au plan fiscal. Elle achète les appros, « cultive » et vend la production. Le « résultat » constaté est réparti sur les exploitations membres.

Pour gérer achats et ventes, le traditionnel « groupement d’achats » est utile. Il peut se structurer pour adopter une forme de type GIE

Les avantages à partager ou à se regrouper

Au final, on constate les avantages à se grouper ou, pour le moins, partager tel ou tel moyen de production.

L’économie d’échelle est souvent le premier bénéfice identifié avec un impact sur la marge ou le revenu disponible.

Dans des schémas poussés d’organisation, on identifie des sources d’optimisation des prélèvements obligatoires (fiscal et social).

Sur le plan humain, on mutualise et on valorise les compétences. On permet la spécialisation des hommes ce qui engendre de la reconnaissance et de la motivation.

Les assolements peuvent être rationalisés, mais cela nécessite une approche très fine, parcelle par parcelle.

Enfin, la séparation du patrimoine foncier et du capital d’exploitation permettra de les valoriser et d’en faciliter la transmission.

Conclusion, le schéma de regroupement doit être réversible et évolutif

Paradoxalement, alors que le contexte économique appelle à plus de mutualisation, les difficultés freinent les réflexions de groupe. Par ailleurs, les conséquences psychologiques des difficultés (de toutes natures) brouillent la réflexion et empêchent de prendre du recul et de se projeter.

Quoi qu’il en soit, si la volonté est là, il est toujours possible de partager, de se regrouper en adoptant les schémas les plus simples qui soient. Il est normal de ne pas vouloir s’engager dans des constructions qui seraient vécues comme une entrave à la liberté individuelle.

Le plus important est d’accepter de s’exprimer sur l’argent, le travail, le pouvoir et l’information. En effet, dans tout regroupement, les « associés » définiront ces règles, au minimum. De plus, nous confie notre consultant, « il faut accepter de discuter à cœur ouvert et se faire aider pour comprendre le mode de fonctionnement de ses futurs associés« .

(1) L’échange de parcelles peut se faire par échange de jouissance. Il y a alors un transfert du droit d’usage et d’exploitation entre exploitants, qu’ils soient locataires ou propriétaires, sous forme d’un contrat temporaire mais reconductible. Il faut avertir son ou ses propriétaires mais le locataire initial reste l’interlocuteur.